« Le regard de mon entourage à mon égard a beaucoup changé. J’ai plus de considération dans ma famille et mon village. Ma femme et mes enfants sont fiers de moi. » André, bénéficiaire du projet
Depuis une année maintenant, une approche différente a été mise en place dans le cadre d’un projet d’élevage au Burkina Faso : la mise en place d’élevages domestiques individuels. Ou, dit en d’autres termes : comment un bélier et trois brebis peuvent changer positivement les liens familiaux !
Parce que c’est souvent dans le cercle étroit de la famille que commence le chemin vers une dignité retrouvée. En effet, c’est là que se trouvent les premiers regards que nous croisons, les premiers témoins de nos paroles, de nos actes. C’est là que nous recevons les premières impressions (tant dans le sens de l’opinion reçue que de la marque laissée) extérieures qui nous disent qui nous sommes ; et donc si nous sommes « dignes », ou non. Ainsi, être méprisé par sa propre famille, considéré comme inutile ou à charge, est une souffrance endurée par de nombreuses personnes handicapées de la vue au Burkina Faso. A l’inverse, (re)trouver de la considération aux yeux de sa famille, y trouver sa place, se sentir utile, sont autant de défis que beaucoup voudraient surmonter si l’opportunité leur était donnée.
L’Association Nong-Taaba des Aveugles et Malvoyants de Kombissiri, située à 40 km au Sud de Ouagadougou (Burkina Faso), a mis sur pied en partenariat avec la MEB un projet d’élevage aussi simple qu’efficace. En effet, la plupart des projets d’élevages étaient jusqu’alors communautaires, en ce sens qu’ils étaient pris en main par une association dans son ensemble. On imagine aisément les problèmes que cela peut poser : comment se partager équitablement les revenus ? Quelle est l’implication réelle des personnes handicapées de la vue dans le projet ?
Cette fois-ci, il a été décidé d’agir au niveau de la famille de la personne handicapée de la vue. En effet, dans la culture burkinabè, la honte liée à la situation de handicap est portée par l’ensemble du cercle familial, pouvant créer un climat délétère, une relation aidant-aidé pénible et favorisant une vision négative de la personne handicapée : « Il ne peut pas subvenir à ses besoins, ni à ceux de sa femme et de ses enfants » ; « Elle est incapable, et nous devons travailler pour elle ». Certains, dont la famille ne peut ou ne veut pas leur venir en aide, se trouvent obligés de mendier pour subsister. Nous comprenons donc qu’agir au niveau de la famille est une approche essentielle. Ceci permet à la personne jusqu’alors déconsidérée d’être responsabilisée et de contribuer de manière active à répondre à ses besoins ainsi qu’à ceux de ses proches.
Pour ce faire, un bélier et trois brebis ont été fournis à 40 membres de l’Association Nong-Taaba. Un suivi vétérinaire a été prodigué et une formation pour l’élevage a été donnée. Portées par leur motivation et leur volonté de s’en sortir, les personnes aveugles et malvoyantes se sont investies afin de faire fructifier leur cheptel, à l’image de Pascaline et de Mahamadi :
« Je me nomme Dakissaga Pascaline. Je suis mariée et mère de deux enfants. Ce projet m’a été très utile, car il m’a permis de faire face à mes petits besoins. Mes animaux ont mis bas trois fois. J’ai déjà vendu une bête pour mon alimentation et des soins de santé que je devais subir. Maintenant, j’ai plus de considération et d’estime dans ma famille et mon entourage. Mon mari m’a aidée dans la construction de l’enclos, les soins et l’alimentation des bêtes. J’ai reçu des visites de suivis qui m’ont prodigué des conseils et fait des recommandations pour améliorer l’état de mes bêtes. La formation m’a permis d’acquérir de nouvelles connaissances sur les soins des animaux. Je compte sur cette activité pour payer les frais de scolarité de mon premier enfant, et me battrai autant que je pourrai pour que mon activité réussisse. Je suis reconnaissante au Seigneur et à tous ceux qui nous ont aidés. »
Mahamadi Ouedraogo : « Je suis content de ce que le projet nous a apporté comme aide. Ce projet réduira notre dépendance financière vis-à-vis de notre entourage, et même démotivera certains d’entre nous qui s’adonnaient à la mendicité. Je vais accorder beaucoup d’attention à mes moutons pour qu’ils se multiplient : c’est ainsi que je pourrai en vendre certains pour mon projet de mariage. Pour l’alimentation des animaux, je collabore avec mes frères qui m’aident. Très souvent, ils me rendent service pour les besoins des bêtes (sécurité, eau, aliments, …). »
Pour Boubakar Ouedraogo, le coordinateur de la MEB au Burkina Faso, ce projet dynamise non seulement les bénéficiaires premiers, mais également l’association Nong-Taaba dans son ensemble. En effet, l’enthousiasme des nouveaux éleveurs couplé aux changements observés dans les relations et les possibilités offertes via la vente du bétail sont un grand espoir pour l’avenir de l’association.
Ce projet constitue donc une belle opportunité d’apprentissage pour la personne handicapée de la vue en ce qui concerne l’élevage et la gestion des biens. Quant à son statut social, celui-ci évolue positivement puisque la personne devient réellement participante au développement familial – et même local, via la mise sur le marché de viande de qualité.
Un pas en avant vers une dignité retrouvée !
Thoma Vuilleumier