Alors que de plus en plus d’institutions reconnaissent aujourd’hui l’importance du rôle des femmes dans le développement durable, celles-ci restent encore bien souvent non-reconnues dans leurs droits. Auprès de ses bénéficiaires, la MEB est constamment confrontée à la vulnérabilité des jeunes filles et femmes handicapées de la vue. Subissant une double discrimination de par leur handicap et leur genre, elles cumulent les facteurs de pauvreté et d’exclusion.
Cette discrimination se reflète notamment dans l’accès aux services, à l’emploi et à l’éducation, maintenant les femmes africaines handicapées dans la pauvreté. Un exemple flagrant de cette différence, qui s’opère dès la petite enfance, est le droit à l’éducation. Un écart de 30 % demeure encore aujourd’hui entre les filles et les garçons quant à l’accès à l’école primaire. En effet, une fille handicapée de la vue aura beaucoup plus de peine à suivre une éducation de base, d’une part parce que ses parents préfèreront « investir » dans un enfant valide, d’autre part parce qu’ils favoriseront l’accès à la scolarité pour les garçons. Pour parer à cette problématique, la MEB demande notamment la parité dans les inscriptions aux écoles primaires qu’elle soutient. En outre, elle insiste sur un travail de sensibilisation qui doit être fait auprès des familles et des enfants voyants pour respecter les droits des filles handicapées de la vue.
J’ai 13 ans. Je vois un tout petit peu, je suis donc malvoyante. Pendant l’année scolaire, je me réjouis de vivre avec mes camarades. Mais à la fin du semestre ou de l’année, mon papa ne vient pas me chercher. Il m’abandonne à l’internat, à la charge des responsables religieuses. Je me dis tout simplement que mon papa ne m’accepte pas, il ne me considère pas comme son enfant, comme un membre de la famille, à cause de mon handicap alors que mes frères sont avec lui et ils vivent ensemble. A l’approche des vacances je suis bien stressée et j’ai de la peine à voir partir mes amies et mes camarades avec leurs parents. Florence*, collégienne de 13 ans, malvoyante et bénéficiaire de l’ONG Bartimée au Bénin.
J’ai 16 ans, élève en classe de 5ème au collège. Je suis malvoyante. Ce que je ne supporte pas surtout, c’est quand nous faisons le trajet internat-collège-internat avec notre canne blanche. Certains jeunes gens voyants du village viennent se planter sur le chemin et quand nous les approchons, ils commencent par nous crier des insultes, ils nous renversent et ils ricanent et fuient vers la brousse ou les champs. Par ces comportements, je me dis toujours dans mon cœur que je suis méprisée par le monde extérieur, car je suis inférieure aux autres par rapport à mon handicap. Joséphine*, 16 ans, malvoyante et bénéficiaire de l’ONG Bartimée.
L’accès à l’éducation pour les jeunes filles handicapées est primordial car « la privation des droits à la scolarisation renforce l’ignorance de leurs droits et donc l’acceptation des situations dégradantes ou violentes » . Selon Handicap International, des personnes en situation de handicap ont deux fois plus de risque d’être victimes de violences que les personnes valides. Considérées comme improductives et marginalisées, les femmes handicapées de la vue sont une cible facile pour les actes de violence physique et sexuelle. En effet, le handicap implique généralement une situation de proximité et de dépendance qui favorise un climat d’abus. En outre, les croyances magico-religieuses, selon lesquelles la cécité est la conséquence des mauvais esprits, ôtent une partie d’humanité à la personne aveugle et la prive de ses droits. Cette situation est encore renforcée par l’entourage qui préfère bien souvent cacher les abus, par peur de stigmatisation et de rejet de la communauté. De ce fait, les violences domestiques et sexuelles sont des sujets tabous évoqués souvent avec honte par les victimes. Pour la MEB et ses partenaires sur le terrain, il est ainsi difficile de se rendre compte de l’étendue des violences et de la marginalisation dont sont victimes les femmes aveugles.
Je suis une femme malvoyante, d’une trentaine d’années. Je suis chrétienne catholique. J’étais mariée à un homme voyant, conducteur de taxi. Quand j’ai conçu notre premier enfant, il s’occupait très bien de moi et restait très proche de moi et de mes parents. Quand notre fils a eu 3 ans, je suis tombée enceinte et j’ai eu beaucoup de difficultés de santé au cours de cette grossesse, avec des hospitalisations. Finalement j’ai accouché d’une fille mais qui n’a pas survécu. Quelques mois plus tard, mon mari me dit de retourner chez rejoindre mes parents, parce qu’il a une autre femme ailleurs et qu’il déménage. J’étais obligée de repartir chez ma maman. J’ai commencé par vendre avec ma maman mais ce n’est pas facile pour moi, et je dois désormais subir sa colère ou son indifférence injustifiable. Parfois, mon mari passe par notre ruelle sans demander après moi ou l’enfant (les voisins le voient passer et m’en informent). C’est assez pénible pour moi. Je ne peux m’empêcher de pleurer ; ce qui me chagrine encore plus, c’est la réaction de ma maman, elle ne se fait pas proche de nous (mon enfant et moi) pour me soulager un peu, bien au contraire : c’est tout comme si elle me fait un reproche silencieux. Mes soucis sont énormes, même si je vois un tout petit peu ; mais je suis confiante en le Seigneur car je me débrouille comme je peux pour le pain quotidien. Gladys*, malvoyante et participante à la formation des femmes leaders organisée par l’ONG Bartimée.
Mon mari a pris une autre femme et ne me demande plus. Je souffre moralement, de faim et de solitude. J’ai réfléchi et je n’ai plus d’autre solution que d’aller mendier. J’ai honte de mendier dans mon village ou dans un milieu voisin où beaucoup me connaissent ou peuvent me découvrir. De mon village, je traverse Porto-Novo et descends à Cotonou pour aller mendier au grand marché. Je le fais sans joie mais je n’ai pas de choix. Carole*, 50 ans, aveugle tardive et bénéficiaire de l’ONG Bartimée qui met en place des activités de transformation de manioc pour aider les femmes handicapées de la vue à obtenir une activité génératrice de revenu.
Afin de prendre pleinement conscience de la situation des femmes aveugles et de répondre de façon appropriée à leurs souffrances, le partenaire de la MEB au Bénin, l’ONG Bartimée, a lancé depuis une année une campagne de sensibilisation et de recensement des spécificités propres aux femmes handicapées de la vue. Pour ce faire, l’ONG Bartimée a formé 14 femmes « leaders » prêtes à mener des groupes de discussions auprès des femmes handicapées de la vue dans diverses régions du Bénin. Ces femmes leaders organisent des petits groupes de partage réunissant environ une dizaine de participantes, afin d’échanger sur leurs conditions de vie, leurs problèmes quotidiens et les informer de leurs droits. Pour instaurer un climat de confiance, les discussions sont menées en langue locale, de façon confidentielle et avec une approche basée sur l’Évangile faisant preuve de compassion et non de jugement. Consciente que les femmes elles-mêmes sont les premières garantes de leur sécurité physique et matérielle, l’ONG Bartimée s’est associée notamment à la Fédération des personnes handicapées du Bénin pour faire connaître aux femmes handicapées de la vue leurs droits et les outiller, afin de pouvoir réagir dans des situations de stigmatisation et de violence.
Par rapport aux situations auxquelles nous sommes confrontées régulièrement, nous, femmes handicapées de la vue, cette formation constitue une lumière qui vient effacer nos ignorances afin de réagir conformément à la loi face aux discriminations dont nous sommes souvent victimes. Je trouve aussi l’importance de sensibiliser d’autres femmes handicapées de vue comme nous. A ce sujet, elles seront formées pour réagir convenablement face à une discrimination ou une violence exercée sur elles en famille ou dans la société. Esther*, femme handicapée de la vue ayant suivi la formation de femmes leader dispensée par l’ONG Bartimée.
Cynthia Guignard
Photo : Géronime, responsable HDV de la Fédération des personnes handicapées du Bénin, dans un exercice de jeux de rôle quant aux droits des femmes handicapées de la vue.
*Prénoms d’emprunt