Femmes

Je suis une jeune femme handicapée de la vue. J’ai 25 ans. Quand j’étais petite, je suis allée à l’Ecole des Aveugles de Djanglanmè dans le Mono (Province dans le sud du Bénin, ndlr) où j’étais en internat. Une fois inscrite à cette école, mes parents ont arrêté de payer ma pension scolaire et ne sont jamais venus me visiter comme les parents des autres enfants le faisaient. Quand arrivaient les vacances, mes camarades rentraient chez eux en toute joie avec leurs parents qui venaient les chercher. Moi, je restais sans personne, malheureuse jusqu’à leur retour. Ils revenaient des congés et racontaient les beaux jours vécus avec les réjouissances des fêtes de fin d’année ou des bons souvenirs des vacances de juillet à septembre. Mon cœur était triste au point où je ne retenais rien en classe. J’ai passé cinq ans en redoublant toujours la 2e année.

A la fin de ma scolarité, les religieuses responsables de l’école, ont été obligées de me ramener au village. Elles ont cherché mon père et m’ont conduit vers lui. Mon père est féticheur, alors que moi, j’ai reçu une éducation chrétienne loin de lui. Mon père ne s’occupait pas de moi. J’ai donc rejoint ma grand-mère, dans le même village, et je vis maintenant avec elle et ses cousines qui sont toutes très âgées. Elles ne trouvent pas toujours à me donner à manger.

Mon père continue d’entretenir ses fétiches avec des adeptes qui viennent régulièrement chez lui pour des cultes. Il ne demande jamais de mes nouvelles. Ma mère a divorcé de lui depuis ma toute petite enfance. Elle s’est remariée avec quelqu’un du village, mais ne demande jamais à me voir. Je me dis : « tout le monde a un père et une mère, mais moi, je n’en ai pas. C’est certainement à cause de mon handicap ». A cause de tout cela, je suis une femme révoltée et je ne cherche plus non plus à voir mes parents. Ma grand-mère essaie de me consoler, mais c’est impossible.

Pour m’en sortir, j’essaie de revendre au détail des beignets que j’achète en quantité chez des femmes qui les fabriquent, pour faire de petits bénéfices. Parfois, il y a des jeunes ou des enfants qui me volent, profitant de ma cécité, mais je ne me décourage pas.

Alors que j’étais en train de vendre mes beignets, un oncle est venu me dire qu’une délégation d’une association de personnes aveugles (des femmes aveugles membres de l’ONG Bartimée, partenaires de la MEB, ndlr) viendra de Cotonou car elles voulaient parler avec moi. Je n’y croyais pas quand deux inconnues sont venues me visiter. Ces deux femmes étaient handicapées de la vue comme moi. J’en ai tout de suite reconnu une qui était dans la même école que moi.

Nous avons parlé ensemble et elles m’ont encouragées, avec leurs témoignages, à persévérer et à croire en mes capacités.
Je me suis dit que le Seigneur me voit et qu’il ne m’oubliera pas.

propos recueillis par l’ONG Bartimée, partenaire de la MEB au Bénin